Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : l'impact de l'IA sur la médecine, les effet du départ à la retraite sur la relation médecin-patient, l'amélioration continue de la qualité des soins, des sites web pour aider à la qualité des soins, une surmortalité maternelle en augmentation au Canada, adapter la gestion hospitalière à l'inattendu, l'IA générative pour renseigner les patients en cancérologie...
La capacité technique des systèmes de génération de langage à base d’IA (Intelligence artificielle - IA générative, type Chat GPT) s’accroit rapidement et possède un immense potentiel d’application au monde médical au point d’être la source d’une révolution majeure des pratiques.
La première génération d’outil IA appliqué à la médecine était spécifique d’un contexte et application (imagerie cancéreuse, analyse de photos de mélanomes, détection de rétinopathie diabétique, etc.). Ils étaient entraînés pour cette seule tâche et restaient des outils très spécifiques.
La génération des nouveaux systèmes d’IA générative représente une totale révolution en regard de cette première génération. Ces nouveaux outils sont capables de comprendre un univers infiniment plus grand, moins spécifique, sans avoir reçu d’entrainement particulier sur chaque point questionné, en apprenant de façon opportuniste par expérience et par lecture de base documentaire au fil du temps (les connaissances du monde entier leur sont ouvertes sur internet), en rendant les réponses les plus plausibles en y mettant non seulement le fond (la connaissance) mais aussi une certaine forme (ils peuvent apprendre l’empathie).
Les progrès de cette nouvelle génération d’IA générative sont fulgurants, comme en atteste le grand nombre de travaux qui ont tous moins d’un an depuis leur publication. On y retrouve pêle-mêle des applications pédagogiques, des systèmes d’évaluation continue des connaissances dans le cadre de la recertification (Med-PaLM), des systèmes d’aide au diagnostic montrant une incroyable différence de performance avec ou sans aide, particulièrement pour les diagnostics difficiles (McDuff D, Schaekermann M, Tu T, et al. Towards accurate differential diagnosis with large language models, 2023), ou encore des systèmes de renseignement au patient, montrant une performance objective et une empathie ressentie très supérieure aux réponses procurées par des professionnels (Tu T, Palepu A, Schaekermann M, et al. Towards conversational diagnostic AI, 2024).
Il est encore difficile de dire jusqu’où vont aller tous ces systèmes dans leurs applications ; on en est encore à des phases d’acceptation, et de certification par les autorités. À très court terme cette certification, qui ne fait pas de doutes, doit encore trouver son modèle économique en santé (reconnaissance, facturation, responsabilité, etc.). Demain (les mois prochains ou l’année prochaine… ) pourrait être encore plus une opportunité d’accélération et de démonstration d’efficacité.
Il faut dire que l’accélération trouve un terrain favorable dans l’immense crise démographique médicale que traverse tous les pays, en présentant ces outils non seulement comme des aides aux professionnels qui leur économisent du temps, augmentent leur performance, améliorent la qualité et la sécurité des soins, mais aussi en leur donnant une place complémentaire dans le système de santé. L’accès et la mise à jour documentaire des recommandations et bonnes pratiques pourraient se voir par exemple totalement bouleversés, simplifiés, optimisés, dramatiquement réduites en coût de main d’œuvre humaine, via internet et ces systèmes.
Ces systèmes sont aussi capables de se mettre à la portée des patients, de leur niveau de connaissance, et de leur niveau scolaire pour leur parler dans des termes adaptés comme le révèle une récente étude nationale US (Amin KS, Mayes L, Khosla P, et al. Chatgpt-3.5, chatgpt-4, google bard, and microsoft bing to improve health literacy and communication in pediatric populations and beyond. 2023).
Le potentiel est tel qu’il faudra aussi très vite gérer l’éthique appliquée à ces systèmes et la gestion des inégalités portées par l’accès de tous à ces technologies, tout autant que les impacts sur la responsabilité professionnelle ; et plus encore statuer et gérer la multitude de questions liées à leur place dans le système médical, particulièrement vis-à-vis des professionnels, dont ils pourraient très vite devenir des remplaçants.
La vitesse de développement est telle que l’avenir s’écrit en mois et en quelques années, plus qu’en décennie.
C’est sans doute un des plus grands chantiers qui reste à ouvrir pour trouver le mariage réussi qui préservera une place acceptable à chacun, professionnels et machine ; il est en tout cas déjà (bien) trop tard pour imaginer revenir en arrière comme s’ils n’existaient pas.
La continuité de la relation médecin-patient est mise à mal par la démographie médicale et particulièrement par les départs à la retraite des généralistes (ou l’équivalent sous forme d’arrêt volontaire ou de relocalisation d’exercice).
Ces collègues norvégiens étudient l’impact de ces départs sur la demande médicale et la mortalité - morbidité - en recoupant les données de différents registres nationaux. Il s’agit de comparer, toutes données médicales rendues comparables, les patientèles qui ont pu conserver leur généraliste versus les patientèles ayant subi l’arrêt d’activité de leur généraliste traitant.
Les patients inclus ont tous au moins 3 ans de suivi avec le même généraliste et sont observés 5 ans après ces 3 ans de lien qu’il soit persistant ou interrompu.
Entre 2012 et 2020, les données identifient 819 généralistes partis en retraite, et 229 changeant de lieu d’exercice, auxquels étaient affiliés au total 1 165 295 patients réguliers. Le taux de consultations (fréquence) augmente en moyenne de 3 % pour tous les patients ayant subi un départ de leur généraliste. Cette augmentation des consultations se retrouve dans les appels hors horaires pour urgence (+ 5 %), les passages à l’hôpital réglés (+ 3 %) et aux urgences (+ 5 %) ; et cette augmentation se poursuit sur les 5 ans qui suivent la discontinuité de la relation médecin-patient.
Cependant, la mortalité n’est pas impactée significativement pendant les durées observées, ce qui modère clairement le risque associé qui s’avère mettre plus en cause l’économie de la santé et une perte de confiance et une dégradation de la qualité perçues par les patients.
Un article corédigé par deux des plus grands spécialistes internationaux de la Qualité.
L’amélioration continue de la Qualité via l’application d’un cycle PDCA (Plan Do Check Act) n’a plus à démontrer sa valeur. Pour autant, il reste de très nombreux cas où le cycle n’est pas respecté, faute de rigueur.
Ce n’est pas vraiment une surprise quand on voit la pression croissante sur le système de santé, la volonté de trouver des réponses immédiates quasi magiques à des problèmes complexes et multidimensionnels, sans se donner le recul nécessaire pour prendre leçon de ce qui a déjà été fait, et souvent échoué. Bref, les règles de l’amélioration continue de la Qualité se doivent d’obéir à un rythme plus lent, où toutes les étapes doivent être suivies avec soin, en étant plus persistant et rigoureux, autant de points rarement observés sur le terrain.
Les deux auteurs proposent quatre recommandations pour faire mieux :
Ces améliorations peuvent s’appuyer sur des regards d’experts internes ou externes à l’équipe, avec une attention particulière portée à l’évaluation objective et multicritères des résultats, phase souvent trop négligée, et une attention tout aussi grande au temps nécessaire à l’amélioration, et donc aux phasages des actions entreprises.
L’arrivée de l’IA peut aider plusieurs aspects, notamment dans le suivi et l’évaluation, mais ne changera pas les fondamentaux de la Qualité.
Les défauts de suivi d’examens d’imagerie à la sortie d’hôpital des patients sont souvent source d’événements indésirables qui vont de la simple insatisfaction jusqu’à de sérieuses erreurs médicales par défaut d’exploitation de résultats complémentaires.
Les auteurs proposent une étude rétrospective sur ces défauts de suivi établie sur des données de 2018 à 2021 dans plusieurs hôpitaux où a été testée une solution d’alerte des radiologues les informant sur la sortie programmée du patient, couplée à un processus de communication par les infirmiers d’information au patient rentré à domicile.
Sur cette période, des résultats anormaux ont été rapportés dans 51 % des examens d’imagerie exécutés de façon très proche de la décharge hospitalière du patient. L’organisation en place avec alerte des radiologues sur la proche fin du parcours patient, et communication secondaire au patient rentré à domicile n’a été efficace que dans la communication au patient et son médecin généraliste de 79 % de ces cas anormaux.
L’inclusion de compte rendu d’imagerie - même tardive dans le parcours hospitalier - dans le résumé du dossier de sortie reste donc un objectif central d’une bonne coordination des soins, à tout le moins la mention d’une information précise dans la lettre à destination du généraliste sur les examens qui ont été demandés et dont on ne possède pas encore les résultats au jour de sortie.
Ces auteurs australiens proposent une revue de littérature sur la conception et l’utilisation des sites web destinés aux professionnels de santé pour les informer sur la qualité des soins. La revue couvre la période 2012-2024 de toutes les publications en langue anglaise avec au total 18 études finalement incluses.
Trois thèmes dominent ces articles :
Les sites sont reconnus utiles à la consultation d’information sur les améliorations apportées aux procédures de soins favorisant ainsi l’adoption de nouveautés dans ses propres pratiques, l’amélioration de la conformité de ses pratiques aux recommandations, et facilitant des pratiques réflexives d’apprentissage (avec notamment des outils mis à disposition pour des auto-évaluations).
Mais les barrières d’usage restent nombreuses, la première reste le temps manquant dans la pratique pour utiliser sérieusement ces ressources, et la seconde étant le caractère trop souvent décalé et irréaliste de recommandations de pratiques lues sur le site en rapport de la réalité du terrain.
Globalement, les auteurs notent aussi que ces articles sont plutôt d’un bas niveau de qualité scientifique en regard des méthodes utilisées notamment pour l’évaluation des résultats, relativisant ainsi toutes les observations précédentes.
La chirurgie bariatrique a fortement progressé en qualité et en indications. Cet article analyse l’impact financier d’une généralisation en Angleterre de ces pratiques à l’horizon des 20 prochaines années avec trois scénarios :
La projection actuelle d’une pratique de chirurgie bariatrique au profit de la population anglaise prédit sur les 20 prochaines années un total réaliste de 140 200 interventions pour un coût de 1,6 milliards d’euros, très loin de couvrir le besoin de la population.
L’option 1 tout public sans innovation mais avec une politique incitative permettrait d’absorber environ 17 700 interventions supplémentaires pour un coût majoré de 350 millions d’euros.
La stratégie 2 (mixte public privé) pourrait absorber 92 000 interventions supplémentaires sur ces 20 ans pour un surcoût de 1,29 millions d’euros.
Enfin, la stratégie 3 (création de 49 centres dédiés avec 4 800 nouveaux emplois) absorberait près de 420 000 interventions supplémentaires pour un surcoût de 5,8 milliards d’euros, et serait la seule capable de répondre à l’intégralité du besoin de la population.
Ces données sont proposées pour construire le choix des politiques, en sachant que la situation économique du budget anglais est très loin d’être favorable, même pour l’option 1, et qu’il s’agira donc d’un choix très difficile.
Les patients sont de plus en plus sollicités pour évaluer les innovations en santé, mais les procédures pour ce faire restent souvent peu rigoureuses.
Cette équipe de Santa Monica en Californie a analysé l’introduction de 348 innovations qui incorporaient l’évaluation de la satisfaction des patients sous une forme ou une autre dans l’évaluation.
Dans la très grande majorité des cas, la mesure portait globalement sur l’innovation (61 %) suivi de son accès (52 %) et de la clarté et qualité de la communication et des explications introduites par le porteur de l’innovation (12 %).
Les patients ont le plus souvent été consultés par des questionnaires assez globaux de satisfaction (187/348), bien plus rarement par des questionnaires portant sur l’expérience médicale détaillée, l’accès, et les effets médicaux spécifiques au produit introduit (64/348).
La très grande partie des questionnaires d’expérience utilisés pour mesurer les effets du produit (Patient-Related Experience/Outcome Measurement PREM, PROM) n’avait pas été précédée d’une validation scientifique, ni d’un travail psychométrique sérieux, ni même ne s’était préoccupé des recommandations parmi les plus générales portant sur la construction de questionnaires proposées par l’agence de la Qualité américaine (AHRQ). Par exemple, ces questionnaires ont presque tous été utilisés uniquement après introduction de l’innovation (pas de comparaison avant-après).
Au total, un vrai manque de rigueur dans cette sollicitation de l’avis des patients qui réduit sérieusement la valeur des résultats obtenus.
Les problèmes hypertensifs pendant la grossesse ont augmenté de 40 % en 10 ans au Canada, avec nombre de femmes enceintes mal ou non traitées. Les grandes pathologies chroniques (obésité, diabète, HTA) touchent maintenant une canadienne sur cinq en âge de procréer.
Ces conditions médicales dégradées, signe sociétal d’un plus grand nombre de grossesses à hauts risques, se traduisent par plus de complications en post-partum particulièrement dans les deux premières semaines, avec une surveillance qui ne doit pas faiblir malgré le retour à domicile souvent éloigné de l’hôpital.
Le retour en cas de problème par la case urgences générales surchargées et non spécifiques est tout aussi problématique pour ces femmes vulnérables, et encore plus si elles arrivent avec leur nouveau-né. Rappelons que ces femmes à risques continuent à être suivies de façon privilégiée au Canada par les obstétriciens avec un rendez-vous donné à 6 semaines après l’accouchement ; contrairement aux grossesses normales suivies de façon bien plus souple et directe par des sages-femmes et généralistes lors du retour à domicile. La consigne qui leur est donnée est qu’en cas de problème, elles s’adressent à leur généraliste ou aux urgences (souvent éloignées).
Sans surprise, avec de telles consignes, le taux de fréquentation aux urgences générales en post-partum est plus élevé au Canada que dans tous les autres pays comparables, et encore plus en zone rurale, particulièrement dans les 5 premiers jours de retour à domicile. Une récente étude réalisée en Alberta montre ainsi que 45 % de ces jeunes mères canadiennes ont eu une visite aux urgences dans la première année post-partum, pour un tiers dans les 6 semaines suivant l’accouchement.
Pour autant, seulement 5,2 % de ces visites aux urgences ont justifié une hospitalisation, ce qui pointe encore plus le trou dans la qualité de l’accompagnement médical du retour à domicile de ces patientes à risques.
Dans ce contexte, le surrisque de l’habitat rural isolé est évident. Un nouveau projet en Colombie Britannique (Rural Surgical and Obstetrical Networks project) propose de réduire ce risque par la mise en place :
Cette expérience plutôt réussie, avec une réduction observée de la fréquence des risques, s’inscrit aussi dans un pragmatisme des autorités canadienne du moment, où le manque d’obstétriciens devient un problème quasi définitif et sans autre solution que raisonner différemment en misant sur les réseaux de compétences interprofessionnels où chacun a gagné de l’expertise dédiée sur ces questions.
Le Covid a été l’occasion de tester un scénario de totale incertitude pour le monde médical.
Dans ce contexte, deux directions de recherches pouvaient s’appliquer.
L’une était déjà utilisée depuis plusieurs années reprenant les principes des HROs (Systèmes à hautes fiabilités, High-Reliabiity Organisations) qui proposent une organisation réactive aux surprises, au demeurant assez classique et réglée en l’absence de surprise, mais rendant progressivement plus d’autonomie aux équipes selon un protocole bien établi en cas de surprise.
La seconde voie était plus basée sur un grand pragmatisme et la pratique de tactiques d’essais-erreurs face à des cas totalement non standards.
Cette dernière stratégie, habituellement vue dans la conduite des crises politiques, peut être appliquée à la gestion hospitalière. Les auteurs ont interrogé 109 professionnels de gestion hospitalière en 2020-2021 au moment du Covid, et en ont retiré l’importance de cette seconde façon de voir dont la qualité première est d’être rationnelle, locale, et basée sur de la réflexion collective sur ce qui est faisable ici et maintenant, au point d’en dériver l’idée d’une nouvelle approche appelée High Pragmatic-Organizations soutenue par 5 principes de management introduisant des nouvelles valeurs tout en reprenant une partie des principes des HROs :
Ces auteurs analysent la performance de plusieurs générations de nouveaux systèmes d’intelligence artificielle langagier (IA générative, type Chat bot) destinés à répondre aux questions de patients cancéreux. Les réponses du système à 200 questions représentatives des questions posées par les patients (récupérées sur des forums patients) comparées aux réponses données par des professionnels oncologistes.
Les performances de la dernière génération des systèmes d’IA générative (Chat bot 3) sont jugées par 6 oncologues systématiquement meilleures que celles des médecins sur trois critères : empathie, qualité et compréhensibilité.
On note toutefois une variation de performance en fonction de la longueur de la réponse proposée par les systèmes, et aussi selon la génération des systèmes, les plus anciens étant moins performants.
Ces systèmes d’IA générative s’installent progressivement dans le paysage des systèmes d‘aide pouvant considérablement alléger la tâche du médecin tout en garantissant une très bonne performance et adhésion des patients.
On a déjà une bonne évidence scientifique que les questionnaires recueillant la satisfaction des patients sur leur parcours de soins (PREM – Patient Experience Reported Measurement) s’associent secondairement à une augmentation des volumes d’activité.
L’étude complète cette approche en évaluant l’impact financier pour les hôpitaux favorisant à grande échelle ces outils.
Les données ont été recueillies entre 2016 et 2019 dans 132 hôpitaux suisses publics et privés.
Les données confirment que la mise en place des PREMS augmente les volumes d’activité (pour tous les hôpitaux) et les revenus de l’hôpital à l’année n+1 (mais seulement pour les hôpitaux privés), tout en étant négativement associés aux coûts de santé (tous hôpitaux).